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OEdipe roi est une tragédie modèle, d'Aristote à Racine, mais aussi le formidable détonateur d'un mouvement dont nous vivons encore et qui a profondément transformé une lecture dont l'histoire avait déjà, comme elle le fait toujours, piégé les accès. Sans Freud, Sophocle ne se tairait peut-être pas, mais avec Freud, certainement, Sophocle n'est plus tout à fait lui-même. Cette traduction s'appuie sur une analyse grammaticale et historique qui a abouti à rétablir le texte sur un nombre considérable de points.
Ni reconstitution ni adaptation : la restauration archéologique pure et simple est rendue vaine par la différence des langues et des mètres, l'adaptation tombe dans le piège de l'humanisme. L'oeuvre est d'abord une pièce de théâtre, où le rythme, les effets, le mouvement font partie du sens. -
Une « Utopique » est une construction imaginaire ou réelle d'espaces dont la structure n'est pas pleinement cohérente selon les codes de lectures eux-mêmes que cette construction propose. Elle met en jeu l'espace. Ce livre cherche à explorer ces jeux dans l'image et l'écriture et à expliquer par eux le mode particulier de production textuel et historique de l'utopie et sa force critique des sociétés réelles. Partant d'une étude de l'Utopie exemplaire de More, il vise par l'analyse de représentations utopiques (plans de ville du XVIIIe siècle, Disneyland, un fragment de Jorge Luis Borges, la ville cosmique de Xénakis...) à fournir les premiers éléments d'une théorie de la pratique sociale.
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Proust prête au narrateur cette réflexion sur le peintre Elstir : ses tableaux sont plus hardis que leur auteur, le tableau d'Elstir est plus hardi qu'Elstir théoricien. Toute l'intention du présent essai est d'appliquer la même distinction à Proust : le roman proustien est plus hardi que Proust théoricien. Par là, je veux dire : le roman est philosophiquement plus hardi, il va plus loin dans la tâche que Proust assigne au travail de l'écrivain (éclaircir la vie, éclaircir ce qui a été vécu dans l'obscurité et la confusion).
Proust théoricien mobilise les thèses de la philosophie de son temps au service du dogme qu'il défend en littérature (que l'oeuvre ne saurait être expliqué par l'homme). Il reprend imperturbablement les conclusions les plus aporétiques de la philosophie moderne comme autant de vérités lumineuses : la croyance au langage privé, le solipsisme, le mythe de l'intériorité, la subjectivité des visions du monde, l'idéalisme de la représentation, la théorie esthétique des arts, le dogme de l'abstraction des notions.
Renversant l'ordre habituellement suivi par les critiques, j'ai essayé de tenir le roman pour un éclaircissement, et non pour une simple transposition, de la théorie dont Proust était parti. J'ai supposé qu'il y avait quelque chose comme un éclaircissement romanesque des propositions obscures, paradoxales, égarantes, de Proust théoricien. (V. D.) -
Le livre de Jonas tient une place exceptionnelle dans la liturgie juive. Il est en effet lu publiquement à la fin de Yom Kippour, ce jour du Grand Pardon qui est la principale des solennités du calendrier. Et pourtant, rien ne semblait désigner à un tel honneur ce court texte consacré à l'un des douze « petits prophètes ».
Le livre de Jonas comprend quatre chapitres. Le premier et le troisième rapportent l'histoire, sans doute très ancienne, mais bien peu édifiante, d'un prophète récalcitrant. Sommé par Dieu d'aller prêcher Ninive, il s'empresse de s'embarquer sur un navire qui va dans la direction opposée. Mais, à la suite d'une soudaine tempête, les matelots rejettent Jonas à la mer ; il est alors avalé par un grand poisson (la fameuse « baleine » de Jonas), qui le dépose sur un rivage d'où il gagne Ninive et accomplit finalement la mission dont il était chargé.
Le deuxième chapitre - la prière de Jonas dans le ventre du poisson - est un psaume, également très ancien, que nous connaissons surtout dans sa traduction latine : le De Profundis.
Quant au quatrième chapitre, dont la rédaction est beaucoup plus récente (probablement du IIe siècle avant l'ère chrétienne), il raconte une mystérieuse histoire de « ricin » dont personne à vrai dire n'a l'air aujourd'hui de comprendre la véritable signification.
Or il paraît clair que c'est ce quatrième chapitre, justement, qui vaut à Jonas sa place éminente dans l'office de Kippour. Greffé par les Docteurs de la loi sur les deux sources légendaire et poétique précédentes, il pourrait bien illustrer pour la première fois la situation des juifs après la destruction du Temple de Jérusalem. Une situation qui n'a pas changé fondamentalement depuis vingt-six siècles.
Dernier livre de l'Ancien Testament, à la jonction du sacré et du profane. Jonas serait tout simplement le Livre de la judaïté moderne. -
Ce livre est né d'une découverte : l'impossibilité de tenir un discours sur Pascal sans tomber dans les contradictions que dénonce son objet. D'où la substitution à Pascal de la Logique de Port-Royal, qui le cite en des points-clés de son propos et qui permet ainsi d'en mesurer toute la puissance subversive. Sans doute est-il question, dans La Critique du discours, des modèles représentatifs du langage élaborés par la « linguistique cartésienne » des logiciens jansénistes, mais pour montrer, grâce à la citation pascalienne, comment modèles et représentations s'y manifestent comme procès idéologiques où la sémiologie contemporaine est encore prise.
En écrivant dans leur ouvrage, avec Pascal, le contre-texte de la représentation classique, en déplaçant ses « évidences » par une logique de l'infini et de l'aléa, par les stratégies pratiques du langage ordinaire, les « Messieurs » retrouvent dans leur Logique toute cartésienne et bourgeoise, et sans en être pleinement conscients, la pensée et la pratique anti-représentatives de leur religion, pensée pratique des forces du désir, celles du péché ou de la grâce, forces de l'Autre qui interdisent au modèle et à la représentation de se fonder rationnellement. Cette Critique du discours vise ainsi, par-delà les textes du dix-neuvième siècle, à mettre en question quelques-uns des présupposés sémiotiques des sciences humaines.
Ce livre est paru en 1975. -
L'Histoire de ma vie peut être lue comme on le ferait d'un recueil d'anecdotes passionnantes, n'ayant de lien entre elles que les hasards de la succession du temps. Si la lecture se fait plus pressante, elle dévoile un écrivain qui compose son discours en même temps qu'il dessine son autoportrait. Casanova se montre alors aux prises avec les mêmes lancinantes questions : celle de la différence des sexes, celle de l'autorité, celle du temps.
Il ne veut pas les résoudre en les prenant de front. Quand il s'y aventure c'est l'échec et, bientôt la descente dans le sordide et l'horreur. Il préfère le plus souvent fabriquer, pour les tourner et même pour ne plus les voir, des masques toujours plus sophistiqués et plus habiles, qu'il réussit même à dérober à l'attention du client.
Alors qu'il se met sans cesse en avant, comme s'il tenait le premier rôle sur les planches qu'il ne peut quitter, il prend soin, dans le même temps, de nous égarer et de rendre invisibles les solutions de son énigme, insérées qu'elles sont dans la subtile architecture de son récit.
Il nous faut l'écouter avec patience et le saisir, au détour des phrases ou des chapitres, dans ces détails qu'il laisse traîner comme par mégarde et qu'il recouvre par la rapidité de son style, de ses aventures et de ses voyages. -
Les depossedes : bataille, caillois, leiris, malraux, sartre
Denis Hollier
- Minuit
- 18 Novembre 2020
- 9782707351609
Les études rassemblées dans ce volume ont pour objet l'héroïsme paradoxal d'écrivains qui, de Leiris à Malraux, de Sartre à Bataille et à Caillois, ont milité pour la naissance d'un monde qui n'aurait pas de place pour eux, dans lequel la littérature ne se verrait reconnaître aucun droit, un monde qui les attire parce qu'il exigerait d'eux le sacrifice de leur activité artistique, terre promise dont ils attendent une seule chose : qu'elle fasse d'eux des interdits de séjour. Si le XIXe siècle a été celui du sacre de l'écrivain, le XXe siècle qu'ils représentent aura été celui de son sacrifice. Là où leurs prédécesseurs se demandaient comment la littérature est possible, ils la veulent impossible et, quand ils s'interrogent sur ses conditions de possibilité, c'est pour être à même de les saper, de les défier. L'engagement devient ici un exercice de dépossession, la forme extrême de l'automutilation, une déclinaison systématique des formes dépossessives et impersonnelles du langage et de l'existence.
Les démêlés de Leiris avec l'espace conjugal, les difficultés éprouvées par Sartre dans le maniement des particules possessives, les plaidoyers de Bataille en faveur d'un communisme pour lequel il avait peu de sympathie mais dont il escomptait une intolérance absolue à l'égard des valeurs qui lui tenaient à coeur, la fascination de Caillois pour la démission cléricale, les divers « adieux aux plumes » découlant de l'esthétisation de la contrainte politique : autant de formes revêtues par la passion de la dépossession qui a donné son ton à la guerre froide en littérature. (D. H.) -
À quelles conditions peut-on, dans un discours réel, utiliser un énoncé comme argument en faveur d'un autre ? La réponse semble aller de soi, au moins si l'on assimile l'argumentation à une espèce de raisonnement - peut-être lâche et flou, mais analogue en son fond à la démonstration étudiée par les logiciens. Dans ce cas, l'enchaînement des énoncés se fonde sur les informations qu'ils véhiculent, sur ce qu'ils disent de la réalité. C'est justement l'inverse que veut montrer la théorie des échelles argumentatives. Selon elle, la structure des énoncés, au sens le plus étroitement grammatical du terme, contient, indépendamment des informations qu'ils donnent, des indications sur le type de conclusions qu'ils peuvent servir. Le sens même de nos paroles doit alors être vu comme étant, de façon intrinsèque, un moyen pour orienter le discours de l'autre, l'intention de dire ne se distinguant pas de l'intention de faire dire. Ce qui fait triompher le structuralisme là où on l'attend le moins, en sémantique : la valeur sémantique d'un énoncé est constituée par allusion à la possibilité d'un autre énoncé - l'énoncé de l'Autre.
Cet ouvrage est paru en 1980. -
Logique structure enonciation: lectures sur le langage
Oswald Ducrot
- Minuit
- 18 Novembre 2020
- 9782707351159
Le linguiste, quand il étudie une langue, prétend d'abord observer des faits, et ensuite les relier par des lois, ou les expliquer par une théorie. Mais ces « faits » (qu'il se « donne » au départ, et qu'il prend pour évidents parce qu'ils appartiennent à la perception habituelle du langage) sont le produit des théories à travers lesquelles il les voit. Quelques-uns sont le produit de sa propre théorie - et l'on parle de cercle vicieux, d'artefact, ou, d'une façon plus sérieuse, et moins péjorative, de « coût théorique ». La plupart sont le produit de théories anciennes, parfois de théories contre lesquelles l'auteur lui-même se bat. D'où la nécessité de savoir comment la linguistique d'hier a construit les faits dont débat la linguistique d'aujourd'hui. C'est ce que tente de faire cet ouvrage, qui traite de recherches très diverses, aussi bien celles de logiciens médiévaux que de modernes théoriciens de l'énonciation.
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Je demeure en Sylvia
Didier Coste
- Les Éditions de Minuit (réédition numérique FeniXX)
- 7 Janvier 2017
- 9782707332899
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.